Les musulmans vont à la Mecque, les catholiques vont à Compostelle et les urbanistes vont à Brasilia ! Brasilia est un voyage à faire une fois dans la vie d’un urbaniste pratiquant. Un pélerinage pour voir l’une des expériences urbaines les plus dingues : installer une capitale au milieu de nulle part, en plein coeur de la steppe au centre du Brésil. Décidée en 1955 par le président Juscelino Kubitschek dit JK (sans F), la ville a été inaugurée en 1960 ! Tout à la fois pari politique fou, défi technique, architecture monumentale et utopie sociale, Brasilia est hors norme. Il faut dire que Brasilia n’est rien de moins que la ville du futur… Enfin, le futur vu des années 60 !

Qui dit futur dit rationnel. Pour les années 60, le futur devait forcément être scientifique et logique (on connaît la suite…). Du coup, le plan de la ville est symétrique : un grand axe central dessert des avenues et des rues qui découpent la ville en zones puis en blocs. A Brasilia, tout est donc rangé rationnellement : les maisons sont dans les secteurs d’habitation, les hôtels dans les secteurs hôteliers, les équipements sportifs dans les secteurs sportifs, etc. Et autour de l’axe principal, on trouve les ministères rangés en rang d’oignons par ordre d’importance, jusqu’à la place des trois pouvoirs où se regroupent le siège de la présidence, la cour suprême et le parlement. Tout est bien à sa place et dûment numéroté. Par exemple, nous logeons chez un habitant (merci Airbnb) qui habite au Secteur d’habitation sud, îlot 704, bloc F, bâtiment 74. Rationel et poétique en plus !

Et puis, qui dit futur dit futuriste. Quand on dessinait le futur dans les annéees 60, on faisait des coupoles blanches, des soucoupes volantes, des bretelles d’autoroute immenses. Et bien Brasilia, c’est le futurisme qui devient réalité. Le tout construit dans les matériaux du futur (le béton et la moquette…) à une échelle délirante. Essayez d’imaginer : la largeur de l’axe monumental de Brasilia fait à peu près la longueur de la rue Toulzac à Brive ! A côté, les Champs-Elysées font riquiqui. Le long de l’axe monumental, on trouve non seulement les ministères et le parlement (une soucoupe volante, une coupole et deux tours) mais aussi un musée (encore une coupole), un théatre (une pyramide), un mémorial (un cube), une cathédrale (une couronne d’épine) et même un stade de foot de la coupe du monde et un circuit de formule 1 ! Entre tout cela, des pelouses grillées par le soleil et des bretelles d’autoroute. Bref : MO-NU-MEN-TAL.

Car qui dit futur dit voiture. Si Costa et Niemeyer, les urbanistes et architectes de Brasilia, ont conçu une ville aussi démesurée, c’est qu’ils avaient prévu que dans le futur tout le monde se déplacerait en voiture. Une prophétie auto-réalisatrice (notez le jeu de mot !), car ils ont tout fait pour que la voiture soit indispensable. De fait, Brasilia est le royaume de la bagnole : des avenues à 6 voies partout, des échangeurs et des passages souterrains, des parkings en veux-tu en voilà. Le vrai luxe, devaient-ils croire, c’était de ne pas avoir à marcher. Il y a des petits détails qui ne trompent pas : les présidents du Sénat et de la Chambre ont des places réservées littéralement devant la porte du parlement, l’évêque peut se garer sous l’entrée de la cathédrale grâce à un passage souterrain. Plus fort, le ministre des affaires étrangères a une rampe dédiée qui lui permet de garer sa voiture directement dans son bureau au premier étage du ministère. On espère que ça ne tache pas la moquette !

Revers de la médaille, cette ville est un enfer pour les piétons, et en particulier les pauvres touristes que nous sommes. Pourquoi mettre des trottoirs si tout le monde est en voiture ? Inutile ! Et les passages piétons ? Superflus ! Marcher est tellement 19ème siècle ! Ajoutez à cela les distances démentielles et l’absence d’ombre…. Ça ne donne pas beaucoup envie de marcher. On a quand même essayé et on a fini plusieurs fois bloqués, condamnés à prendre un taxi pour faire 500 mètres. Mais allez traverser une avenue de 6 voies qui n’a pas un seul feu sur plusieurs kilomètres… Bon courage !

Quand on regarde de plus près, Brasilia est pleine de paradoxes. Royaume du béton et de la voiture, elle reste une ville très verte. Il y a des arbres et des espaces verts partout. Les habitants avec qui nous avons discuté louent la qualité de vie et la présence de la nature dans la ville.

Ville planifiée par excellence, on découvre petit à petit que la vie reprend spontanément ses droits. Il n’y a pas de trottoirs ? On voit apparaître autour des arrêts de bus des ‘sentiers’ qui traversent les pelouses et les jardins – parfois les talus des bretelles d’autoroute… La zone administrative ne contient pas de restaurant ? Hop, des guitounes mobiles s’installent sur les parkings des ministères. Grâce à la guide du Ministère des Affaires Etrangères, avec qui nous avons sympatisé, on a même découvert un petit quartier illégal construit de bric et de broc entre des ambassades et une voie rapide.

Le président JK voulait faire de Brasilia la vitrine du Brésil moderne. Pari gigantesque réussi. Mais il n’aura pas réussi à noyer le système D dans le béton, car c’est aussi cela le Brésil !