Jour 9 – En route pour l’aventure

Les lecteurs les plus anciens se souviendront que dans, un récit de voyage précédent (datant de 2005), je vous entretenais du lien étroit entre le style du sac de voyage et celui du voyageur. Je repense à cela en comparant les bagages chargés sur le bateau pour l’île de Batu Batu avec ceux se trouvant sur la pirogue qui nous amène au cœur de la jungle, à Taman Negara. Ici, point de valise à roulette ni de vanity case. Encore moins de siège bébé comme à Batu Batu ! Sur la pirogue de Taman Negara, les sacs appartiennent à des backpackers qui préfèrent Quetchua à Delsey. Les gourdes ont remplacé les biberons. Chaussures de marche, lampes-torches, anti-moustiques… ces sacs à dos contiennent tout ce qu’il faut pour l’aventure. Le bateau de Batu Batu, rempli d’expat de Singapour, était bourgeois, celui-ci est résolument plus bohème. Il y a même quelques dreadlocks carrément babacool.

Et nous dans tout ça ? Et bien, notre sac de voyage Paul Smith, aussi bobo que ses propriétaires, semble aussi bien à son aise sur le bateau de Batu Batu que sur celui de Taman Negara. Nous voilà donc en route pour la Jungle, au coeur d’une des dernières forêts primaires du monde, une forêt plus vieille que l’Amazonie.

 

Notre premier contact avec la jungle se fait de nuit. Tandis que nous marchons, autour de nous la forêt s’anime. Les animaux vont boire. Les insectes font leur promenade nocture à l’abri des prédateurs du jour. Nos lampes-torches balayent la nuit et révèlent l’activité nocturne. Ici, une mante promène son mari sur son dos. Sur un tronc d’arbre, un mille-pattes se dégourdi les jambes. Un peu plus loin, un serpent tout vert se dissimule le long d’une branche. Là, une grosse mygale velue attend patiemment une proie, tapie dans l’ombre. Une ombre toute relative, car nous avons affaire à une mygale star qui ne bronche pas face aux spots et aux flashs.

Chaque soir, entre 8h30 et 9h30, cette mygale voit passer des dizaines de touristes, lampes-torches et appareils photo en main, qui se font une petite frayeur en découvrant le terrible animal et les autres habitants de la forêt. Notre araignée s’est installée sur les Champs-Élysées de la jungle, un sentier légèrement surélevé par une structure métallique qui permet aux touristes de se déplacer dans la forêt sans risquer de se salir les chaussures. On est dans la jungle, mais on reste à 50 mètres d’un hôtel 5 étoiles, il faut savoir garder un certain standing !

Nous aussi, nous sommes tombés – de bonne grâce – dans le panneau du ‘Jungle Night Walk’, une activité attrape-touristes où, à part quelques insectes, on ne voit pas grand chose. Le seul mammifère que l’on croise dans cette excursion nocturne est l’homme, en grande quantité. Mais on a vu une mygale en liberté à moins d’un mètre, cela suffira pour nos frissons du jour ! Vite, on retourne dans notre 5 étoiles !

 

Jour 10 – Marcher sur les arbres.

Le Routard, notre bible, nous a prévenu : à Taman Negara, on croise des Indiana Jones d’opérette et des faux aventuriers qui ne connaissent rien aux lois de la jungle. Ce n’est évidemment pas notre cas ! Protégés des sangsues par nos guêtres Décathlon qui suscitent l’admiration (ou l’hilarité) de nos congénères, nous partons ce matin à la rencontre de la Jungle, tels Tarzan et Mogli (pour mémoire, le copain de Balou dans le Livre de la Jungle…).

Sur un chemin, nous entendons un drôle de chant d’oiseau. En fins observateurs de la faune, on tend l’oreille pour reconnaître l’animal. Il fait un bruit strident et intermittent comme une sorte de scie circulaire. Justement, quelques arbres plus tard, on croise des travaux. On passe sans demander si les ouvriers ont vu l’oiseau-scie circulaire…

Un peu plus loin, on entend un vrombissement de moteur (de bateau probablement). Nicolas-Mogli, en expert, affirme alors : “Tiens, ils passent la tondeuse.” Je ne sais pas si vous imaginez le boulot de tonte qu’il y a dans une forêt vierge de 400 km2 ! Autant commencer sans attendre…

On arrive enfin à l’attraction du jour, une balade sur des ponts de singe à la cime des arbres. Un poil vertigineux. Et en plus ça bouge ! Je vous laisse découvrir les photos. Olivier-Tarzan est passé d’arbre en arbre (sans faire trop le malin quand même). Nicolas-Mogli a préféré rester sur le plancher des buffles, plus proche de l’herbe et des éventuelles tondeuses.

 

Jour 11 – Trek dans la jungle

Ça y est, cette fois-ci on quitte les Champs-Elysées et on part pour la jungle, la vraie. 4/5 heures de rando jusqu’à une petite rivière où une pirogue viendra nous chercher.

Les ‘rangers’ du parc nous l’ont assuré, cette randonnée est “easy easy”, “up and down, from time to time” et “good for exercice”. “No need for a guide” ont-ils ajouté.

Je ne sais si les rangers sont particulièrement décontractés (ou inconscients ?) à l’idée d’envoyer deux citadins tout seuls dans la jungle ou si c’est la difficulté de trouver un guide le jour de l’Aïd, en tout cas tout le monde nous a découragé de prendre un guide.

On en aurait bien besoin pourtant ! Nous avons une carte très approximative et nous suivons un sentier chichement balisé : 5 panneaux en 8 kilomètres, dont un piétiné – par un éléphant ? (cf. photos)

Il faut faire preuve d’observation, trouver le chemin sous les fougères, chercher les bambous coupés à la machette qui indiquent le passage de l’homme, escalader les troncs d’arbres qui se sont abattus en travers du ‘chemin’. Les sentiers ne sont pas vraiment entretenus et disparaissent dans la végétation luxuriante. Ça meriterait un bon coup de tondeuse…

Tout cela n’a rien de “easy easy”. C’est même parfois carrément “limite limite”. Par contre, côté “up and down”, on n’est pas déçus. A mi-chemin environ, on croise un panneau planté au milieu de nulle part avec marqué “A partir de ce point, vous devriez avoir un guide”. L’air de dire : jusque là, c’était facile ; maintenant on passe aux choses sérieuses !

Heureusement que nous sommes bien équipés. Les guêtres qui faisaient rire les randonneurs d’hier nous évitent quelques rencontres trop intimes avec les sangsues qui ponctuent le chemin. Nous avons largement à manger et à boire dans un superbe sac à commissions Monop’ qui marque notre parisianisme même en pleine jungle.

De plus, l’iPhone se révèle être le couteau suisse de la forêt. Une application de jogging (assez peu utilisée par ailleurs…) enregistre notre itinéraire (au cas où il faille faire demi-tour) et calcule les distances parcourues (vitesse moyenne 2,5 km/h et pourtant on a pas chômé). L’iPhone permet aussi de virer les sangsues qui grimpent sur les guêtres. Pam, d’un coup sec !

Je crois que je n’ai jamais transpiré autant que pendant cette balade. Même lors du cross du limousin en 6ème sur le plateau de Sèchepierre ! Nos t-shirts sont détrempés, même la casquette goutte par le bout de la visière !

Miraculeusement, nous finissons par arriver sur le bord de la rivière où nous pourrons héler la piroque qui doit nous ramener à l’hôtel.

 

Ce trek dans le Teman Negara laisse une impression mitigée (en plus de quelques courbatures…) : d’un côté la nature est exceptionnelle, luxuriante, exubérante et le moins que l’on puisse dire c’est que l’homme ne vient pas envahir cette forêt plus vieille que l’Amazonie.
D’un autre côté, l’exploitation touristique de cette richesse naturelle est franchement pas terrible. Pas une carte correcte des balades, pas un bouquin sur la faune ou la flore, des guides qui parlent à peine anglais, des sentiers introuvables (où est la tondeuse ?) et une notion de la sécurité très limite. Si l’on compare avec les trésors d’organisation et de pédagogie qui sont déployés par les parcs naturels en Afrique du Sud ou aux USA, cela n’a rien à voir.

C’est dommage, la sauvegarde de la forêt passe aussi par l’éducation des homo sapiens pas si sapiens que ça. Et puis l’homo touristus aime bien comprendre ce qu’il voit. Bref, y’a encore du boulot !

Demain, on reprend la piroque jusqu’à Singapour ! (Avec un bus et un avion aussi.)